Donald Trump vs Joe Biden, entre débat et pugilat

Combatif mais calme, Joe Biden a pris jeudi les rênes de ce premier débat musclé – une succession d’invectives et d’insultes autant que d’arguments et d’assertions – face à un Donald Trump crispé qui a tenté de monopoliser la parole d’un bout à l’autre de l’émission. Un véritable capharnaüm que Chris Wallace a tenté, non sans peine, d’ordonner.
Après une courte introduction de Chris Wallace, journaliste de Fox News animateur du débat, qui a rappelé les règles de bonne tenue, les deux candidats sont entrés dans l’arène.
Avant l’analyse des arguments, ce sont bien les comportements verbaux et physiques des deux hommes qui devaient être scrutés ce mardi soir, dans le contexte d’extrême acrimonie qui agite les deux camps. Sur le fond, six grands thèmes devaient être abordés lors de ce premier grand débat, qui a duré 90 minutes : l’épidémie de Covid-19, la Cour suprême, l’économie, les questions raciales et les violences urbaines, les bilans des deux candidats ou encore « l’intégrité du scrutin ».
Donald Trump tenait là une opportunité de renverser la tendance et rattraper le retard qui le distance de son adversaire démocrate dans les sondages depuis le début de la campagne. Plus de 100 millions de téléspectateurs étaient attendus devant leur poste.
■ La Cour suprême
La première question porte sur la nomination de la nouvelle juge de la Cour suprême, Amy Coney Barrett, il y a quelques jours. « Elle sera exceptionnelle et aussi forte que ses prédécesseurs », a promis Donald Trump, premier à s’exprimer.
« Nous pensons qu’il n’est pas convenable » de nommer une telle personne à une échéance électorale si brève, a répondu Joe Biden, « nous devrions attendre de voir le résultat de cette élection », a plaidé le candidat démocrate. « Nous avons gagné l’élection » de 2016 « et nous avons le droit de le faire », a repris le président sortant.
► États-Unis: avec la nomination d’Amy Coney Barrett, Trump espère relancer sa campagne
L’échange se tend rapidement et dérive sur la santé, l’Obamacare et le Covid-19.
Le milliardaire républicain tente d’accuser Joe Biden, issu de l’aile modérée du parti démocrate, de vouloir un système de santé « socialiste » défendu par la gauche radicale. Le candidat démocrate a lui dénoncé la volonté du locataire de la Maison Blanche d’installer une juge conservatrice à la Cour suprême juste avant le scrutin du 3 novembre. « Ce qui est en jeu ici, c’est que le président a dit clairement qu’il veut se débarrasser de l’Affordable Care Act », la loi d’assurance-maladie plus connue sous le nom d’Obamacare.
L’ancien vice-président défend alors la loi phare de Barack Obama, assurant que 20 millions de personnes en profitent et qu’il faut préserver le système. « C’est un désastre », rétorque Donald Trump, qui dénonce le coût de la mesure.
Au bout de deux minutes d’échanges, la discussion se brouille et devient cacophonique.
« Tout d’abord, ce n’est pas avec vous (s’adressant à Wallace, qui ne parvient pas à poser sa question) que je suis en train de débattre mais avec lui (Biden), mais je ne suis pas surpris », tacle Donald Trump, qui ne laisse ni son adversaire ni l’animateur s’exprimer librement, malgré les rappels l’ordre réguliers de Chris Wallace. Joe Biden demande alors à Donald Trump de « la fermer », le traitant de « menteur » puis un peu plus tard de « clown ».
■ Le Covid-19
Chris Wallace aborde le deuxième thème en rappelant le nombre de cas aux États-Unis : 7 millions d’infections.
Joe Biden parvient à dérouler sa réponse sur deux minutes et accuse le locataire de la Maison Blanche d’être le responsable de l’échec de la lutte contre le coronavirus. « Le président n’a pas de programme, il savait depuis février que c’était une maladie mortelle. » En réponse, Donald Trump accuse la Chine et défend son bilan. « Le Pr. Fauci (principal expert américain en maladies infectieuses, ndlr) a dit que j’avais sauvé des centaines de milliers de vies (…) La plupart des gouverneurs ont dit que j’avais fait un travail phénoménal », a déclaré Trump, déplorant d’être décrié par une presse qu’il juge partiale. « Peu importe ce que je fais, j’ai mauvaise presse, ce sont des ‘fake news’, c’est tout ». « Vous n’auriez jamais pu faire ce nous avons fait, Joe, vous n’avez pas les épaules pour ça. »
« Je sais ce qu’il faut faire » tandis que « le président n’a aucun plan », a répondu son rival qui pointe tous les « mensonges » de Donald Trump sur le Covid-19. « Vous n’êtes pas intelligent Joe et vous n’avez rien accompli en 47 ans » de carrière politique, a répliqué Donald Trump qui ne cesse de mettre en doute la santé physique et mentale de son rival. Les Républicains n’ont pas de programme, martèle Joe Biden, qui reproche au président de consacrer trop de temps à jouer au golf. « Vous y jouez probablement plus que moi, Joe. »
La discussion se prolonge sur le port du masque, les respects des gestes barrières et la stratégie électorale des deux camps : grands rassemblements côté républicain, meetings réduits côté démocrate. « C’est parce que personne ne veut aller l’écouter », glisse Trump. Le débat n’est qu’une succession d’invectives.
■ L’économie
Donald Trump « s’est débrouillé pour être le président à avoir créé le moins d’emplois » pendant son mandat, assène Joe Biden, « il veut rouvrir l’économie alors que l’on constate une résurgence de l’épidémie ». « Une PME sur 6 a disparu, ils n’ont rien fait pour les aider », at-il encore avancé.
« Les citoyens veulent revenir à la normale, ils veulent que leurs écoles soient ouvertes », a répliqué le président.
Chris Wallace demande à Donald Trump de dire combien d’impôts Donald Trump a payé en 2016 et 2017 : « des millions de dollars », répond Donald Trump : « J’ai payé des 38 mllions une année, 27 millions une autre année. Allez au Conseil électoral, il y a un rapport de 700 pages sur tout ce que j’ai fait »
■ Les violences urbaines
Interrogé sur les violences en marge de manifestations contre les discriminations raciales et la brutalité policière, notamment à Portland dans l’Oregon – ville dirigée par des démocrates -, Joe Biden a répondu : « J’ai été très clair. La violence doit être punie. »
« Sous l’administration Obama-Biden », « c’était plus violent que ce qu’on voit maintenant », se défend Trump. « Quelqu’un doit faire quelque chose à propos
d’Antifa et de la gauche », ajoute-t-il, qui a fait du maintien de l’ordre un thème central de sa campagne.
« Trump essaie de faire mousser la violence, il met de l’huile sur le feu », accuse Joe Biden. « Tous les problèmes que je vois viennent de la gauche, pas de la droite », selon Donald Trump.
« Etes-vous pour la loi et l’ordre ? », interroge le président américain dans un échange particulièrement tendu, où il accuse son rival d’être otage de ses soutiens au « sein de la gauche radicale ». « La loi et l’ordre avec la justice », répond son adversaire démocrate, qui bute parfois sur les mots mais en évitant les gaffes que redoutaient certains dans son camp.
■ Les bilans
« Aucune administration n’a accompli ce que j’ai accompli en 3 ans et demi », malgré « le canular de l’impeachment », argue Donald Trump, qui vante des « chiffres records sur l’emploi ».
« On a relancé l’économie lorsque j’étais vice-président », « on a résolu la récession » ; « on avait 15% de violence en moins », égrène de son côté le démocrate.
Un vif échange revient à nouveau sur Hunter, le fils de Joe Biden, que Donald Trump accuse d’avoir perçu « des millions de dollars ».
■ L’élection
Le débat se poursuit sur les modalités de vote pour l’élection de novembre et notamment sur la question brûlante du vote par correspondance.
► États-Unis: le vote par correspondance est-il un enjeu crucial de la prochaine présidentielle?
« Il faut laisser les gens aller voir sur le net comment on peut voter », « des millions de gens vont voter par correspondance à cause du Covid », « il essaie d’écarter les gens du vote », insiste Joe Biden. A plusieurs reprise, il s’est adressé face caméra, directement aux téléspectateurs, et avec calme : « Allez voter », a-t-il martelé.
« Je pense que l’on va gagner car les gens sont très satisfaits du travail que j’ai fait », mais les résultats de la présidentielle pourraient ne pas être connus « avant des mois », dit Trump, qui a conservé le front plissé et la mâchoire serrée. « Il y aura des fraudes comme nous n’en avons jamais vu », prédit le président américain, qui affirme depuis des semaines, sans preuves, que le vote par correspondance pourrait fausser le résultat.
Joe Biden s’engage à reconnaître le résultat du vote. Donald Trump esquive. La soirée, chaotique de la première à la dernière minute, s’achève.
Avant le débat, des échanges d’accusations
Jusqu’aux dernières heures précédant le débat, les attaques et accusations ont fusé de part et d’autres des deux équipes, aussitôt démenties avant d’être renvoyées comme un boomerang. Florilège en guise de mise en bouche :
L’ancien vice-président démocrate a rendu publiques dans la journée ses feuilles d’impôts pour l’année 2019, un coup directement adressé au locataire de la Maison Blanche, affaibli par des révélations explosives du New York Times sur sa situation fiscale et son endettement.
L’équipe Trump, elle, a sous-entendu que Joe Biden, dont elle met régulièrement en cause la santé mentale et physique, pourrait avoir recours durant la soirée à… une oreillette. Ces insinuations ont été catégoriquement balayées par le camp démocrate qui a de son côté assuré que l’équipe du président avait demandé à l’animateur du débat Chris Wallace de ne pas mentionner le nombre de morts du Covid (plus de 205 000 aux Etats-Unis). Cette affirmation a elle-même été qualifiée de « mensonge » par Tim Murtaugh, directeur de la communication de l’équipe Trump.
Enfin, une porte-parole du candidat démocrate a démenti l’assertion ducamp adverse selon laquelle Joe Biden porterait une oreillette pendant le débat.
► À la Une: premier débat télévisé entre Donald Trump et Joe Biden à Cleveland dans l’Ohio
Tout sépare les deux candidats septuagénaires. Donald Trump s’est présenté une fois, en 2016, et a créé la plus grande surprise de l’histoire politique moderne. Entré en politique il y a un demi-siècle, Joe Biden, sénateur puis vice-président, espère que sa troisième tentative pour la Maison Blanche (il s’était déjà présenté aux primaires démocrates en 1988 et 2008) en sera la bonne.
► Présidentielle américaine: Joe Biden, un gaffeur consensuel
Avec RFI